Childeric
Grand(e) habitué(e)

Inscrit: May 03, 2001
Messages: 271
De: Bruxelles
Posté le: 2002-10-10 10:21   
Perdue.

C’était une maison perdue. Notre refuge. Notre idéal, notre osmose.

Le seul lieu où nous pouvions cohabiter avec notre passion. Perdue dans les collines, loin de toute ville. Loin des humains et de leurs folies. Si loin de la civilisation et de toutes ses mesquineries.

Nous avions pour seuls voisins les éléments. La force de notre amour nous faisait les domestiquer. Nous ne concevions même pas un jour de notre éternel bonheur sans soleil.

A deux nous étions. Tout simplement. Ce n’est pas que nous ayons toujours été asociaux, loin de là, mais notre amour était trop grand pour laisser de la place dans nos cœurs.

Nous avions repoussé nos amis, les laissant vivre dans la raison. Nous étions si fiers de notre folie. Cette folie qui nous permettait de croire en une vie de simplicité et de partage. D’amour et d’eau fraîche en somme.

Nous étions tous deux artistes peintres. C’est cette passion qui nous avait fait nous rencontrer. Je peignais la souffrance. Elle peignait les tortures. Nos chemins s’étaient croisés et la destinée nous avait fait découvrir la couleur.

Des fresques lumineuses loin de notre époque de mélancolie et de pessimisme. Le pessimisme, l’intérêt pour la misère du monde n’avait plus aucun intérêt pour nous. L’égoïsme de notre amour nous satisfaisait pleinement.

Le succès de nos toiles, tellement surprenantes, nous avait écarté de tous soucis matériels.

Jusqu’à ce jour.

Jusqu’à ce funeste jour de beau temps.

C’était une nuit. Nous étions couchés nus côte à côte. Nous n’étions plus qu’un, insouciant, et ce n’était qu’un seul battement de cœur dans nos deux poitrines.

Tout nous paraissait devoir rester paisible de la sorte lorsque, inexplicablement, le même cauchemar s’empara de nous.

Nous n’avions plus eu de cauchemar depuis notre rencontre, à tel point que nous en avions oublié l’existence.

Tandis que notre respiration s’accélérait, nous entendions des voix nous répéter sans cesse d’une voix doucereuse « le bonheur n’est pas éternel ». Ce n’était pas un être humain qui parlait, c’était la maison. Cette maison qui avait fait de nous un seul être.

Au bout de longues minutes de cette menace, l’inexplicable se produisit.

Tandis que la voix me répétait toujours « le bonheur n’est pas éternel », elle entendit autre chose. C’était la première fois que nous étions séparés, ne serait-ce que par la pensée.

Pire, je n’entendais même pas sa voix. Juste un bruit bizarre dans sa tête.

Le matin, tout avait changé.

Je continuais seul notre dernière toile, une reproduction d’un manoir moyenâgeux, mais d’une telle façon, d’une telle coloration, qu’il respirait le bonheur et l’allégresse.

Elle prit alors un crayon. Et une feuille de papier et commença à dessiner autre chose. Je ne lui fit rien remarquer, nous avions perdu l’habitude de parler.

Son dessin représentait un jardin fleuri, comme nous avions l’habitude de le représenter.

Assises dans ce jardin, se trouvaient 6 fillettes. 6 fillettes d’apparence souriantes mais qui semblaient cacher en elle un secret, une torture intérieure. Si bien cachée qu’il me fallut regarder à de nombreuses reprises son dessin avant d’en être assuré.

Le soir venu, elle s’enferma dans sa chambre, alluma des bougies d’encens aux quatre coins de la pièce et mis fin à ses jours.

Aujourd’hui, 12 ans se sont écoulés et je ne comprends toujours pas son geste. Je vis dans la maison, dernier vestige de sa présence. J’y suis seul, mais derrière cette maison, à travers cette maison, je sais qu’elle est là.

Je vis avec elle, mais ce n’est plus comme avant.

J’ai envie de te voir. Dehors, c'est la pluie qui nous agresse.